Le syndicat et/ou son délégué ne sont pas responsables de faits commis à l’occasion de la grève sauf à démontrer une part active de ces derniers dans leur réalisation, tel est le principe confirmé par cette ordonnance rendue le 10 septembre 2021 par le Tribunal Judiciaire de Melun.
En l’espèce, le 2 septembre 2021, après plusieurs mois d’une volonté de dialogue social qui n’a rencontré aucun écho de la part de l’entreprise, les salariés de la société Transdev Sénart, dans le cadre d’un préavis de grève déposé par la CFDT, cessent collectivement le travail pour mettre un terme à la dégradation de leurs conditions de travail et obtenir une amélioration de celles-ci.
Aucune revendication salariale n’accompagne cette revendication qui est soutenue par un large majorité de salariés qui n’en peut plus des atermoiements de la direction.
Cependant, ce mouvement de grève s’accompagne d’indéniables voies de faits, constatées par huissier.
La direction, forte des procès-verbaux dressés par huissier, a obtenu l’autorisation d’assigner en référé d’heure à heure le syndicat CFDT et son délégué syndical au sein de l’entreprise pour obtenir, notamment, l’expulsion de tous occupants de leur chef des lieux qu’ils occupent au sein de la société Transdev Sénart, sous astreinte de 500 €uros par jour de retard et/ou par nouvelle infraction constatée mais aussi le prononcé à l’encontre du syndicat et de son délégué syndical, d’une obligation à faire cesser l’entrave à la liberté du travail sous astreinte de 1.000 €uros par jour de retard, le tout à compter du prononcé de la décision à intervenir.
Pour fonder juridiquement ses demandes, la société a soutenu que le syndicat de par son appel à la grève était nécessairement responsable des actes commis à l’occasion de celle-ci et a, à cet égard, adressé un courrier au délégué syndical par lequel elle lui indiquait qu’en sa qualité de délégué syndical, dépositaire du préavis de grève, il était responsable des comportements déviants et bloquants et devait donc s’assurer que la grève ne dégénère pas en entrave à la libre circulation des personnes et qu’à défaut une action judiciaire sera engagée contre son syndicat.
Deux questions juridiques à travers ce litige se sont posées ; l’une sur la compétence du juge judiciaire et l’autre sur la responsabilité du syndicat et/ou son délégué à l’occasion de faits constitutifs d’une entrave à la liberté du travail commis à l’occasion d’un mouvement de grève initié par le syndicat.
S’agissant de la compétence du juge judiciaire, il a été soutenu que dès lors que les faits constitutifs d’un trouble manifestement illicite s’étaient réalisés sur la voie publique, le juge judiciaire ne pouvait pas prendre de mesures d’interdiction ou ordonner un recours à la force publique.
Telle est la position de la Cour de cassation qui, au visa du principe de la séparation des pouvoirs, a jugé que le juge judiciaire n’a pas compétence pour faire respecter l’ordre sur la voie publique et prévoir dans ce cadre des mesures d’interdiction ou le recours à la force publique. Cass. Soc, 10 février 2021, n°19-14.021
Le tribunal n’a pas fait droit à cette exception au motif qu’il résultait des procès-verbaux d’huissier qu’à plusieurs reprises, des grévistes avaient occupés à l’intérieur du site.
En revanche, la société Transdev Sénart a été déboutée de ses demandes car le tribunal, suivant en cela les conclusions du syndicat, a jugé qu’il revient à la SAS Transdev Sénart d’établir l’imputabilité des troubles survenus dans l’enceinte aux défendeurs, condition indispensable sans laquelle il ne peut être fait droit à une demande à leur encontre ; cette imputabilité repose particulièrement sur une participation active aux faits constitutifs de troubles manifestement illicites ; il convient par ailleurs de rappeler ici que le droit de grève est d’abord un droit individuel, les organisations syndicales n’ayant pas le pouvoir de contraindre dans un sens quelconque des salariés et/ou grévistes.
La solution aurait été toute autre si les procès-verbaux d’huissier avaient relaté des agissements personnellement imputables au délégué syndical engageant sa seule responsabilité personnelle à l’exclusion de celle du syndicat, sauf à démontrer que celui-ci avait contribué à la réalisation des faits illicites.
Une attention toute particulière doit donc être rappelée quant à la rédaction des tracts et autres écrits syndicaux mais également sur les déclarations par voie de presse ou sur les réseaux sociaux.
Tous en comprennent les enjeux juridiques mais au-delà financiers attachés à d’éventuelles transgressions.