En pareille situation, le premier reflexe est de se placer sur le terrain contractuel et d’invoquer une violation par l’employeur de ses obligations à l’égard du salarié. Ce n’est pas inutile, bien sûr. L’atteinte aux droits et à la santé du salarié intéressé ne peuvent pas être négligés. Mais, l’intérêt collectif et la liberté syndicale peuvent (doivent ?) aussi (avant tout ?) être mis en avant par le syndicat.
Trop souvent, dans ce type de situation, le salarié, élu du personnel ou délégué syndical, réagit seul, cherchant – c’est bien légitime – à se protéger et à faire sanctionner les agissements de l’employeur sur le terrain contractuel : harcèlement moral, action en résiliation judiciaire du contrat de travail, modification imposée du contrat de travail, violation de l’obligation de sécurité…
Le syndicat dispose des moyens d’agir afin de faire respecter la liberté syndicale, la libre désignation des représentants du personnel, le fonctionnement des instances, l’exercice du droit syndical…. Quelques droits et libertés protégés par les textes internationaux et la Constitution. En particulier, l’exercice du droit syndical est une liberté définie et protégée par un corpus de règles françaises et internationales.
L’Organisation Internationale du Travail (OIT) a spécifiquement consacré deux conventions à la liberté syndicale : la convention n°87 du 9 juillet 1948 relative à la liberté syndicale et la protection du droit syndical dont notamment l’Article 11 précise que « Tout Membre de l’Organisation internationale du Travail pour lequel la présente convention est en vigueur s’engage à prendre toutes mesures nécessaires et appropriées en vue d’assurer aux travailleurs et aux employeurs le libre exercice du droit syndical » et la convention n°98 de 1949 relative au droit d’organisation et de négociation collective dont l’article 2 rappelle l’un des principes fondamentaux du droit syndical à savoir l’indépendance dont les organisations syndicales doivent faire preuve, « 1. Les organisations de travailleurs et d’employeurs doivent bénéficier d’une protection adéquate contre tous actes d’ingérence des unes à l’égard des autres, soit directement, soit par leurs agents ou membres, dans leur formation, leur fonctionnement et leur administration. 2. Sont notamment assimilées à des actes d’ingérence au sens du présent article des mesures tendant à provoquer la création d’organisations de travailleurs dominées par un employeur ou une organisation d’employeurs, ou à soutenir des organisations de travailleurs par des moyens financiers ou autrement, dans le dessein de placer ces organisations sous le contrôle d’un employeur ou d’une organisation d’employeurs».
L’Article 11 de la Convention Européenne des Droits de l’Homme est aussi consacré à la liberté de réunion et d’association et énonce le droit de former des syndicats qui dispose que « Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association, y compris le droit de fonder avec d’autres des syndicats et de s’affilier à des syndicats pour la défense de ses intérêts. 2. L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi, constituent des mesures nécessaires, dans une société démocratique, à la sécurité nationale à la sûreté publique à la défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d’autrui. […]. »
Enfin, la liberté syndicale est aussi énoncée par l’article 11 de la Charte Communautaire des droits sociaux fondamentaux des travailleurs : « 11. Les employeurs et les travailleurs de la Communauté européenne ont le droit de s’associer librement en vue de constituer les organisations professionnelles ou syndicales de leur choix pour la défense de leurs intérêts économiques et sociaux. Tout employeur et tout travailleur a la liberté d’adhérer ou de ne pas adhérer à ces organisations, sans qu’il puisse en résulter pour lui un dommage personnel ou professionnel. »
En droit interne, l’article L.2131-2 du Code du travail traduit les règles internationales et européennes précitées en affirmant la liberté de constitution d’une organisation syndicale : « Les syndicats ou associations professionnels de personnes exerçant la même profession, des métiers similaires ou des métiers connexes concourant à l’établissement de produits déterminés ou la même profession libérale peuvent se constituer librement. »
L’article L 2141-4 du Code du travail protège l’exercice du droit syndical dans l’entreprise : « L’exercice du droit syndical est reconnu dans toutes les entreprises dans le respect des droits et libertés garantis par la Constitution de la République, en particulier de la liberté individuelle du travail.»
Le code du travail interdit à l’employeur de porter atteinte à l’exercice du droit syndical (Article L. 2141-10 alinéa 2 du Code du travail) : « Aucune limitation ne peut être apportée aux dispositions relatives à l’exercice du droit syndical par note de service ou décision unilatérale de l’employeur ».
Les agissements de l’employeur visant à porter atteinte à l’action syndicale dans l’entreprise caractérisent le délit d’entrave au droit syndical : « Le fait d’apporter une entrave à l’exercice du droit syndical, défini par les articles L.2141-4, L. 2141-9 et L. 2141-11 à L. 2143-22, est puni d’un emprisonnement d’un an et d’une amende de 3 750 euros. » (Article L.2146-1 du code du travail)
Il est constant qu’en soumettant une organisation syndicale ou ses représentants, désignés ou élus, à des pressions ou menaces, en critiquant ouvertement leurs actions ou leurs prises de position, voire en sanctionnant certains d’eux pour les faits commis dans le seul exercice de leur mandat, en les évinçant de la collectivité de travail ou encore en les privant de leurs fonctions ou responsabilités, l’employeur commet l’infraction d’entrave à l’exercice du droit syndical.
Ces principes étant rappelés, comment les utiliser et que faire concrètement ?
D’abord, le syndicat a intérêt à intervenir, par écrit, directement auprès de l’employeur pour obtenir une cessation immédiate de ses agissements et le rétablissement du salarié dans ses droits. Ce faisant, le syndicat défend son représentant dans l’entreprise et, plus globalement, les droits exercés dans l’entreprise par le syndicat lui-même. Il peut aussi saisir l’inspection du travail afin qu’elle rappelle l’employeur à ses obligations et, peut-être même, qu’elle dresse un procès-verbal d’infraction.
Ensuite, si rien n’y fait, le syndicat a la faculté d’engager une action en justice. Soit, devant la juridiction de droit commun, le Tribunal judiciaire, en référé ou au principal (selon que l’atteinte est plus ou moins manifeste), afin qu’il soit ordonné, sous astreinte, à l’employeur de cesser ses agissements constitutifs d’une entrave à l’exercice du droit syndical et de rétablir l’intéressé dans ses droits. Soit, aux côtés du salarié, devant la juridiction prud’homale, c’est-à-dire en tant que co-demandeur ou intervenant volontaire dans la procédure.
C’est cette deuxième option qui a été retenue par le syndicat CFDT dans l’affaire qui a donné lieu au jugement du Conseil de Prud’hommes de Saint Brieuc du 4 octobre 2022. Après avoir écrit à l’employeur pour qu’il cesse ses agissements, le syndicat a agi en justice aux côtés de son délégué.
Il a été jugé que le fait pour un employeur, après avoir été informé de l’intention du salarié de se présenter aux élections professionnelles dans l’entreprise, de le lui retirer ses responsabilités habituelles caractérise une discrimination syndicale. Cette décision retient que ce type d’agissements, même réalisés sur une courte période, outre qu’ils ont pour objet de nuire au salarié et de dégrader ses conditions de travail (au point de déclencher en fin de compte une inaptitude à tout poste), constituent une entrave à l’exercice du droit syndical.
Face à des faits tels que :
- le retrait de l’essentiel des fonctions du salarié;
- l’évitement du salarié par les dirigeants de l’entreprise qui cessent de lui adresser la parole du jour au lendemain;
- la mise à l’index du salarié vis-à-vis de la collectivité de travail;
- le retrait d’une place de parking jusqu’alors utilisée par le salarié ;
le syndicat est fondé à être « première ligne » pour faire constater l’atteinte à l’exercice du droit syndical et le préjudice porté à son action dans l’entreprise et plus globalement à l’intérêt collectif. Ce qui n’empêche pas le salarié de présenter des demandes liées à sa relation contractuelle.
Dans cette affaire topique, les agissements étaient d’une gravité telle que, même présidé par un représentant des employeurs, le conseil de prud’hommes a sévèrement mais justement condamné l’employeur et a jugé que:
- ce type d’agissements, même sur une très courte période (trois semaines), caractérise une discrimination syndicale;
- qu’une réparation distincte des préjudices du salarié et du syndicat est possible même si la discrimination syndicale, le harcèlement moral et la violation de l’obligation de santé et de sécurité résultaient de faits identiques;
- que la rétrogradation invoquée par le salarié et le syndicat devait être appréciée au regard des fonctions effectives du salarié et non de celles mentionnées dans le contrat de travail et sur les bulletins de paie
Le salarié obtient sur le plan contractuel une sanction des agissements dont il a été victime (résiliation du contrat de travail, dommages-intérêts…) et le syndicat la réparation du préjudice porté à son action dans l’entreprise, aux droits et libertés qu’il exerce et à l’intérêt collectif de la profession.