Le législateur, sur impulsion européenne, tente de protéger les lanceurs d’alerte. Malgré cette protection légale de la loi du 9 décembre 2016, chacun mesure la difficulté de l’alternative ainsi posée aux salariés confrontés à cette situation. Le risque de représailles, de perte d’emploi, n’est pas qu’une vue de l’esprit. Ce combat n’est pas forcément perdu d’avance, c’est ce que vient de juger la Cour d’Appel de Poitiers, le 19 septembre 2024.
Le lanceur d’alerte est une personne qui révèle un crime ou un délit. L’article 8 de la loi prévoit que le salarié doit porter cette alerte à la connaissance d’un supérieur hiérarchique, de l’employeur ou de toute personne désignée à cette fin.
En l’absence de diligence de la part de cette personne, le signalement peut être porté à l’autorité judiciaire ou administrative compétente.
En l’espèce, une responsable du pôle éducatif d’un foyer pour mineurs migrants non accompagnés venait d’être embauchée dans la structure.
Quelques semaines plus tard, elle informe sa direction qu’elle estime les conditions d’hébergement dangereuses pour ces mineurs.
Comme il fallait malheureusement s’y attendre, rien ne change.
Face à cette inertie, la salariée renouvelle son alerte auprès de sa hiérarchie et aussi auprès du service compétent du Conseil départemental.
Cette alerte entraine, très rapidement, une inspection surprise sur site, puis l’obligation de cesser l’accueil dans ces conditions et le relogement en urgence des mineurs dans un hôtel.
Le site ne sera autorisé à réouvrir, qu’après les travaux nécessaires, 15 mois plus tard.
Quelques jours après cette visite surprise de contrôle, la salariée est mise à pied à titre conservatoire puis licenciée pour faute grave (motivée par une prétendue maltraitance de la salariée à l’encontre des jeunes hébergés).
Le CPH n’a pas accordé le statut de lanceuse d’alerte, a jugé la faute grave non justifiée et le licenciement sans cause réelle ni sérieuse pour inobservation d’une règle conventionnelle (CC 66).
La Cour d’appel de Poitiers a fait une toute autre analyse de la situation.
Après avoir rappelé que la vétusté des locaux, les risques tenant aux installations électriques défectueuses, les problèmes d’hygiène, d’aération et de chauffage étaient susceptibles de revêtir la qualification de l’article 222-14 du Code pénal condamnant « le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparentes ou connues de l’auteur, à des conditions de travail ou d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine », les juges poitevins prennent en considération le lien chronologique évident entre la rupture du contrat de travail et l’alerte, et, ainsi, l’existence d’une présomption de mesure de rétorsion
La cour juge ensuite que les griefs visés dans la lettre de licenciement ne sont pas démontrés et ordonne en conséquence la réintégration de la salariée et la condamnation de l’association à lui verser ses salaires durant sa période d’éviction nulle.
4 ans après avoir perdu son emploi, cette salariée le retrouve, avec paiement des salaires perdus.
Cet arrêt peut participer à ce que les CPH se saisissent mieux de ce statut et aussi de l’outil réintégration.
Cet arrêt, c’est aussi un message de la justice à tous ces professionnelles du social œuvrant pour la protection de l’enfance, en acceptant parfois, contraintes et forcées des conditions si difficiles, en essayant de faire de leurs mieux, juste pour essayer d’améliorer le sort des enfants et adolescents.
Il reste beaucoup à faire, mais cette décision montre que se taire n’est pas forcément la seule solution.
Une justice qui accepte les outils qui lui sont proposés, c’est encourageant.
Arrêt de la cour d’appel de Poitiers du 19 septembre 2024, avocat Gilles Tesson