L’arrêt rendu par la cour d’appel de LYON le 7 décembre 2021, objet du présent commentaire, fait partie d’une série de décisions pendantes actuellement devant la Cour de cassation, dont les arrêts sont attendus non sans une certaine inquiétude par les représentants du personnel (TJ de PARIS 16 juin 2020 n°19/57104 et 19/57107- CA de Lyon 22 octobre 2020 n°20/01395-CA de Lyon 7 décembre 2021 n°21/06842).
En effet, c’est une véritable remise en cause de la jurisprudence construite après les lois AUROUX et depuis les années 90 qui est actuellement menée par les directions déterminées à refuser l’accès à une information complète, précise et loyale nécessaire à la remise d’un avis éclairé par le CSE et à une négociation équilibrée dans le cadre de la négociation d’accord par les OS.
Plus précisément c’est la question de l’accès de l’expert, aux informations nécessaires à sa mission, énoncé par l’article L.2315-83 du code du travail, en l’occurrence les rémunérations et, en particulier celles des plus hauts salaires de l’entreprise, qui est remise en cause dans le cadre de la consultation annuelle sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi visée aux articles L.2312-17 et L.2312-26 du code du travail.
Mettant à profit, d’une part, l’absence de disposition ouvrant à l’expert-comptable l’accès aux mêmes documents que le commissaire aux comptes de l’entreprise s’agissant de cette expertise légale à proprement parler, et d’autre part, de l’obligation pour l’employeur de mettre en place une BEDESE (c. art ; L2312-18) actualisée régulièrement, les directions soutiennent péremptoirement que le niveau d’information auquel peut avoir accès l’expert, pour réaliser sa mission, est limité aux seules informations contenues dans la BEDESE.
Pèle mêle la Société Casino services a soutenu que faire droit à la demande de l’expert serait de nature « compte tenu du nombre réduit d’individus concernés, à porter atteinte à la confidentialité des données correspondantes », et « obtenir des données individuelles relatives aux rémunérations des salariés des niveaux les plus élevés » alors que, « pour le montant des rémunérations, l’employeur a le choix entre des indicateurs déterminés sur la base de moyennes » et, pour « pour la hiérarchie des rémunérations, l’employeur a aussi le choix entre plusieurs indicateurs déterminés sur la base, également, de moyennes. »
Mais, surtout elle soutient que « le recours à un expert-comptable ne peut avoir pour objet d’obtenir, indirectement, d’autres informations que l’employeur n’est pas tenu légalement de donner au CSE dans le cadre de sa consultation sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi, sauf à considérer que la BDES ne constituerait pas, comme précisé dans la circulaire DGT 2014-1 du 18 mars 2014 cette « ambitieuse modalité de partage avec les représentants des salariés de l’information de l’entreprise dans les domaines économiques et sociaux » ou encore cet «élément essentiel conçu par les partenaires sociaux (…) pour faciliter l’exploitation et l’appropriation par les élus des informations (…). »
La Cour d’appel a rejeté cette argumentation dénuée de fondement textuel.
Les juges ne s’y sont pas trompés en liquidant l’astreinte prononcé en première instance d’un montant de 18 800€ et en condamnant l’employeur à remettre les documents à l’expert sous astreinte aggravée et portée à 1000 € par jour tout en prolongeant le délai de remise de l’avis de 2 mois.
En effet, l’architecture du code du travail démontre que le législateur n’a pas limité l’accès aux informations de l’expert à la BEDSE, outil mis à en place à destination des élus dont l’organisation, le contenu et l’architecture est défini par des dispositions supplétives (C.art. R.2312-11 et suivi), en l’absence d’accord d’entreprise ou de branche (C.art. L2312-21).
Retenir un le raisonnement développé par les directions reviendrait à faire dépendre le champ d’intervention de l’expert-comptable désigné par le CSE de l’existence ou non d’un accord négocié sur cette question ou encore de sa qualité.
Or aucun texte ne vient limiter l’accès de l’expert aux seuls documents déposés dans la BEDSE, on en veut pour preuve la possibilité offerte à l’expert de demander à l’employeur au plus tard dans les 3 jours de sa désignation toutes les informations complémentaires qu’il juge nécessaire à la réalisation de sa mission, demande à laquelle l’employeur doit répondre dans les 5 jours. (C. art. R.2315-45).
Ce texte renforce et encadre par des délais le principe selon lequel seul l’expert détermine les informations nécessaires à sa mission.
Il appartient dès lors au seul expert-comptable désigné de déterminer les documents utiles à l’exercice de sa mission (Soc.8 octobre, n°13-16.845, 1er février 2017 n°15-20.354), dès lors que sa demande n’excède pas l’objet défini par les textes, (Soc.16 mai 1990, n°17.555), tenu aux obligations légales de secret et de discrétion (C.trav.L.2315-84), sous le contrôle du juge limité à vérifier que les documents sont en lien avec la mission confiée et ne relève pas de l’abus.
L’intervention de l’expert a pour objet d’éclairer les élus, de rendre compréhensible une masse de données complexes, de les mettre en perspectives, de permettre ainsi aux représentants du personnel de dialoguer de façon pertinente avec les directions ; son rôle ne peut être réduit à un vulgarisateur des données contenues dans la BEDSE, ce n’est ni le sens des textes ni le sens donné par la Directive 2002/14/CE.
La capacité à appréhender la politique de promotion interne de l’entreprise nécessite de pouvoir le faire sur le périmètre global de l’entreprise en termes d’effectifs, de niveaux et de services, sans partir de moyenne de rémunération ou de données retraitée ou agglomérées afin de répondre aux dispositions de l’article L2312-26.
C’est ce qui a été retenu par la Cour d’appel de LYON « les informations retraitées et consolidées, seules produites par la société Casino Services, étaient susceptibles de fausser l’analyse de l’expert de sorte que l’expert ne pouvait s’en contenter » dès lors, l’expert devait pouvoir disposer des données brutes, individualisées et anonymisées (dans le même sens cour d’appel de Rennes du 11 juin 2021 RG 20/04526, Cour d’appel de Versailles du 18.02.21 RG n° 20/01084, cour d’appel d’Aix en Provence 6 juillet 2021 RG n°2021/266).
Saluons cette décision car à l’heure où le législateur a voulu promouvoir la négociation d’accord d’entreprise, favorisant même la négociation avec les seuls élus du personnel dans les entreprises dénuées de DS, et dont la portée peut désormais prévaloir à celle de l’accord de Branche, réduire le champ d’accès de l’information de l’expert serait un non-sens, portant atteinte au principe de loyauté qui doit présider dans la négociation des accords.