Une décision (définitive) rendue le 29 août 2024 par le tribunal judiciaire de Saint-Etienne est l’occasion de rappeler quel est le champ de la consultation du CSE et de la mission de l’expert au titre de la situation économique et financière.
Le CSE d’une société appartenant à un groupe et intervenant dans la chimie de l’eau a décidé de recourir à un expert-comptable dans le cadre de la consultation sur la situation économique et financière au titre de l’année 2023.
La société l’a assigné, ainsi que l’expert, en procédure accélérée au fond devant le tribunal judiciaire pour contester l’étendue de la lettre de mission de l’expert et ses honoraires prévisionnels. Elle contestait également l’intérêt porté à une société sœur.
Deux points méritent l’attention.
La consultation du CSE au titre de la situation économique et financière ne se limite pas à l’année écoulée : elle doit inclure les perspectives de l’année en cours
Pour rappel, le CSE peut décider de recourir à un expert-comptable en vue de ses consultations récurrentes portant :
- Sur les orientations stratégiques de l’entreprise
- Sur la politique sociale de l’entreprise, les conditions de travail et l’emploi
- Sur la situation économique et financière de l’entreprise.
En application de l’article L. 2312-25 du Code du travail, ces consultations doivent intervenir chaque année, à défaut d’accord dérogeant à cette périodicité.
Un des axes de mission de l’expert ici désigné par le CSE portait sur la situation économique et financière et « les perspectives budgétaires pour 2024 » ; il réclamait à ce titre des informations s’y rapportant.
Selon la société, ces demandes n’étaient pas légitimes dans la mesure où le CSE avait voté une expertise uniquement au titre de l’année 2023. Elle soutenait que la lettre de mission excédait le cadre légal de l’expertise sur la situation économique et financière de l’entreprise.
Le tribunal judiciaire n’a pas fait droit à cette analyse par une motivation synthétique et claire :
Toutefois, l’article L.2312-25 II 1° du Code du travail, qui prévoit le champ de la consultation annuelle du CSE, dispose que : « En vue de cette consultation, l’employeur met à la disposition du comité (…) Les informations sur l’activité et sur la situation économique et financière de l’entreprise ainsi que sur ses perspectives pour l’année à venir. Ces informations sont tenues à la disposition de l’autorité administrative ».
Ainsi, si le CSE doit se prononcer dans le cadre de sa consultation annuelle sur les perspectives de la situation économique et financière pour l’année à venir, il doit pour cela bénéficier de l’avis de l’expert désigné. C’est donc à bon droit que la mission confiée à l’expert porte sur la politique d’investissement et les perspectives budgétaires de la société (…) pour 2024 ».
Le tribunal a fait le lien entre les informations qui doivent être tenues à la disposition du CSE et le champ de la consultation.
A noter que les informations en question doivent normalement se trouver dans une BDESE qui est normalement le support de la consultation.
Mais, le constat est fait que de nombreuses entreprises n’en disposent pas ou ont des bases incomplètes et/ou peu opérationnelles. Peu importe le support, même s’il n’y a pas de BDESE, les informations nécessaires aux consultations légales doivent être mises à la disposition des élus du CSE.
Il résulte de cette décision qu’il ne faut pas confondre l’exercice comptable au titre duquel la consultation a lieu et le champ des informations auxquelles ont accès le CSE et son expert-comptable pour permettre aux élus de donner un avis utile sur la situation de l’entreprise.
L’examen de la situation économique et financière de l’entreprise pour l’année 2023 inclut nécessairement l’examen des perspectives 2024 et autorise l’expert de réclamer des documents et des informations sur cette période.
Le CSE est légitime à s’intéresser à une société sœur
Dans le cadre de cette même consultation, le CSE avait également demandé à son expert de s’intéresser à une société sœur, en raison d’interrogations sur de possibles transferts d’activité et le manque de transparence de la direction.
La société l’a contesté devant le tribunal judiciaire, au motif qu’il s’agissait d’une structure juridiquement distincte, sans lien direct et dont l’activité n’aurait pas encore démarré.
Là aussi, le tribunal judiciaire n’a pas entendu restreindre le champ d’investigation de l’expert-comptable :
« Concernant le projet F., s’il ressort de l’extrait K bis produit que cette société est bien une société du même groupe, distincte de la société S., le projet d’implantation de cette société près du port de Dunkerque engendre une potentielle mise en concurrence de ses futures lignes de production avec celles de la société S. déployées actuellement sur le site d’Andrézieux-Bouthéon. Il est donc légitime pour le CSE de la société S. de vouloir obtenir l’avis de l’expert désigné sur ce point. La société S. sera donc déboutée de sa demande tendant à voir réduire la mission de l’expert sur le point précis de l’impact de l’éventuelle concurrence de cette nouvelle société ».
Il faut rappeler que l’expert désigné par le CSE dispose de larges pouvoirs d’investigation, en application de l’article L. 2315-90 du Code du travail, et la jurisprudence assimile ces pouvoirs à ceux du commissaire aux comptes, qui en application des dispositions de l’article L. 823-13 du Code de commerce, a droit « à toutes les pièces qu’il estime utiles à l’exercice de sa mission ».
Bien entendu, il faut que les axes de mission que le CSE fixe à son expert et les informations que l’un et l’autre sollicitent soient utiles à l’appréciation de la situation économique de l’entreprise.
Le CSE a montré ici que l’activité de cette société du groupe pourrait impacter le volume de production du site et à moyen ou long terme, ses effectifs. Et ce, au travers de plusieurs éléments factuels qui ont été retenus par le juge (communication du groupe, complémentarité des activités, avantages de la localisation du nouveau site près d’un port international dans un contexte de forte concurrentiel mondiale…).
Cette décision a le mérite de rappeler, de manière pédagogique, que le champ de la consultation du CSE au titre de la consultation sur la situation économique et financière ne doit pas être appréhendée de manière étroite. Il en est de même des informations auxquelles il peut prétendre et des axes de mission de l’expert qu’il désigne.