Les publications, communications, tracts, pages Facebook… des syndicats sont soumis au droit de la presse. A ce titre, la responsabilité pénale et civile du syndicat peut être engagée en raison, notamment, d’injure (expression péjorative et méprisante adressée à une personne et n’imputant aucun fait précis) ou de diffamation (l’imputation d’un fait qui porte atteinte à l’honneur et à la considération d’une personne).Certes, une plus grande liberté de ton est reconnue aux syndicats quand leurs écrits ou propos s’inscrivent dans un contexte de “polémique syndicale”. Mais, cette liberté cesse là où commencent les attaques personnelles, les atteintes à la dignité et l’outrance. Lorsque le syndicat affirme des fais précis qui portent atteinte à l’honneur ou à la considération de la personne visée (l’employeur, un autre syndicat…), la diffamation est caractérisée. Pour éviter une condamnation, deux moyens peuvent être mobilisés, à condition d’avoir été préparés soigneusement avant la publication : la vérité des faits allégués et l’excuse de bonne foi.
La vérité des faits diffamatoires peut être prouvée, hors les cas d’injure et de diffamation raciale, ou lorsque l’imputation concerne la vie privée d’une personne. L’ “exception de vérité” exonère la personne poursuivie pour diffamation de toute responsabilité, et ce, même si les éléments constitutifs de l’infraction sont réunis, en prouvant la vérité des faits litigieux. Attention, afin de produire son effet absolutoire, la preuve de la vérité des faits diffamatoires doit être parfaite, complète, et corrélative aux imputations diffamatoires dans toute leur portée. Ensuite, la preuve de la vérité des faits doit être produite, par acte d’huissier selon un formalisme contraignant (c’est ce qu’on appelle “l’offre de preuve”), dans le délai de 10 jours suivant la date à laquelle le syndicat a été cité à comparaitre devant le tribunal. Passé ce délai, le débat sur la vérité des faits est irrecevable.
Quelques conseils pratiques pour rapporter la preuve de la vérité des faits considérés comme diffamatoires:
- avant de publier le tract ou la communication, le syndicat doit avoir collecté toutes les preuves de ses affirmations. Pourquoi ? Parce que la procédure en justice est engagée par la personne se prétendant diffamée dans un délai très bref (3 mois) et qu’une fois que le syndicat a été cité à comparaître, le délai pour produire les preuves est de 10 jours seulement
- tout moyen de preuve est admis: mails, photos, décisions de justice, articles de presse, PV de CSE, documents de travail, témoignages, enregistrements….
- Les preuves doivent porter sur l’ensemble des faits affirmés dans la publication. Le syndicat doit donc procéder de manière rigoureuse à la conservation des preuves pour chacune de ses affirmations.
Deuxième moyen (qui peut être combiné avec le premier) pour échapper à une condamnation en cas de diffamation: l’excuse de bonne foi. Pour être caractérisée, la bonne foi nécessite la réunion de plusieurs conditions :
- Le but légitime de l’information : par exemple, informer les lecteurs des actions mises en œuvre par le syndicat, sensibiliser les salariés aux questions se rattachant à l’activité syndicale, défendre les droits des salariés, s’inscrire dans un “débat d’intérêt général” au regard du sujet traité (débat syndical, mouvement social, défense des droits des salariés…), du traitement du sujet (propos humoristique ou satirique), mais également de la qualité du locuteur (syndicaliste par exemple …)…
- L’absence d’animosité personnelle: pas d’attaque personnelle, pas de “coup bas”, pas d’atteinte à la dignité
- La prudence et la mesure dans l’expression: les termes utilisés doivent demeurer mesurés et prudents, y compris dans un contexte social tendu. Il faut peser ses mots.
- Le sérieux de l’enquête : la publication doit avoir été précédée d’une enquête sérieuse reposant sur des faits et de l’analyse
L’administration de la preuve de la bonne foi n’est soumise à aucun formalisme particulier. La bonne foi peut être déduite, par exemple, des pièces produites dans le cadre de l’offre de preuve ou de tout autre fait antérieur à la diffusion des propos incriminés. Dans tous les cas, la bonne foi ne sera admise que si le syndicat s’appuie sur des preuves solides pour établir le sérieux de son enquête et rattacher ses écrits ou propos à un véritable débat d’intérêt général.
Un exemple récent de prise en compte de la bonne foi dans une affaire de diffamation:
La CFDT a publié sur un mur Facebook accessible au public une publication dénonçant une situation “d’esclavage moderne” au sein d’une entreprise au préjudice de travailleurs détachés d’origine bulgare. La directrice de publication et les co-auteurs de la publication ont été attraits devant le tribunal correctionnel de Paris pour diffamation à l’encontre de l’entreprise et de son gérant. Le Tribunal a relaxé l’ensemble des prévenus , considérant que la bonne foi était caractérisée: les propos litigieux s’inscrivaient en effet dans un débat d’intérêt général portant sur des questions économiques et sociales suscitant d’importants débats tant au niveau national – en matière de préservation des emplois locaux et de lutte contre le dumping social -, qu’au niveau de l’Union Européenne – en matière de coopération en vue de la libre circulation des travailleurs détachés. Au surplus, les propos litigieux s’inscrivaient également dans l’action menée localement et nationalement par la CFDT pour la défense des travailleurs détachés, dans le contexte d’un contentieux mené par ce même syndicat à l’encontre de l’entreprise diffamée. La base factuelle a été considérée suffisante par le tribunal, qui relève l’existence d’un lien direct entre les éléments transmis dans le cadre de l’offre de preuve et l’imputation diffamatoire. Les propos tenus (“esclavage moderne“) ont été considérés comme excessifs et virulents, mais constitutifs d’une expression syndicale nécessairement plus libre que la moyenne au regard de la mission de défense des droits. Le caractère excessif des propos s’expliquait d’autant plus qu’ils s’inscrivaient dans le contexte d’une procédure correctionnelle dans laquelle le syndicat s’était constitué partie civile. Aucune animosité personnelle des prévenus n’ayant été caractérisée à l’égard de la partie civile, le Tribunal correctionnel a conclu que l’ensemble des critères de la bonne foi étaient réunis et a donc renvoyé les prévenus des fin des poursuites.